concrétions

« Décomposition 1 »

Il ne se révolte pas ce paysage, s’assimile par les bords, se raconte peu. Longue tresse de lumière blême, c’est un dessus de mer sous un dessous de ciel. La ligne horizontale de la grève se cantonne à son seul trait continu. Elle accuse le coup. Léonard savait peindre ces arrières qui existent au delà du tableau, ne retiennent pas les formes, digèrent leurs mémoires.

Plus loin, un épais manteau de bois en futaie recouvre les talus orientés. Puis, ces masses obsolètes trahies par la vitesse se divisent en ourlets vermillon, comme des cicatrices surmontées de quelques arbres en ports libres.

MALMOË

BAHAUS

Points de contacts apparents hormis ces espaces d’incertitudes. Des îlets peinent à se détacher, clandestins de leur propre terres. Perturbés par une humidité relative, ils sont recouverts d’une lande éparse et homogène. De petites marres, antiphrases du grand aplat moutonnant sont autant de réceptacles temporaires à l’eau. Les différents niveaux laissent apparaître ça et là des taches saumâtres qui s’effondrent sur elles mêmes. Des galets blancs s’oxydent à l’air, laissant de minuscules liserés plus foncés rappelant que l’eau est passée par là. Parallèle aux remblais appuyant l’amorce du pont, une route bitumineuse assoit le sol ramené. C’est ici, dans cet interstice de paysage coincé qui n’a pas vraiment de nom, qu’on a retrouvé Bianca.

« Décomposition 2 »

Il passa la nuit à Quarouble.

Le brouillard somnole encore longtemps avant d’être dissipé par les premiers rayons d’automne de 10h30. Jusqu’alors, la plaine du Nord laisse apparaître quelques masses arborées accrochées par les fumerolles du sol et des langues profondes sans épaisseurs. Ça et là, des peupleraies vieillissantes justifiées en quinconces fabriquent ponctuellement des perspectives dans cette entre-ville remplie de signes pour la plupart obsolètes.

L’Eldorado compte 23 chambres quasi identiques si ce n’est les 3 m² en plus pour les lits doubles pouvant accueillir un couple; chose rare dans ce type d’établissement destiné avant tout aux personnes non accompagnées. La façade en briques, noircie par sa trop grande proximité avec l’autoroute et l’ancienne cokerie absorbe les halogènes de l’hôtel Campanil adossé à son pignon Nord. Refaite il y a peu lors d’une campagne de mise aux normes, l’entrée forme une greffe disgracieuse mélangeant des profilés PVC imitation chêne blond et des vitrages semblant trop minces.

Il n’y a personne dans le hall lorsque Camille Dewald arrive. Les réservations se faisant uniquement par internet, le service d’accueil ayant été progressivement remplacé par un ensemble de casiers à codes permettant de récupérer les clefs de sa chambre. Le couloir se voulant confortable est nappé d’une moquette bleue chinée à boucles fines, « drippées » de coulures rouges sans composition apparente. Un all-over raté. Sur cet ersatz de sol pictural, il pensa à Rem Koolhass, un architecte international dont il lu la veille un interview dans le Magazine de mode « Prada », disant que le monde était fabriqué à partir de signes culturels falsifiés, recouvrant des plaques de BA13 qui cachent les gaines de ventilations et d’électricité. Et puis, il parlait de la corruption et du fait que la ville n’avait plus de dehors, l’architecture aussi, de l’échec de la modernité…Pourtant lui, trouve cette moquette assez moderne, du moins confortable lorsqu’il enlève ses chaussures après la dernière marche. Les couleurs révélées par un éclairage indirect créent ponctuellement des halos au dessus des entrées. La porte en bois plaquée pour autant lourde lui fit penser à Julia.

Julia est un nom d’emprunt. Il lui arrive souvent d’inventer des fictions affectives, en échange de sa modestie sexuelle. Les prénoms italiens donnent un contour de chair, des émotions charnelles aux mythologies exsangues qu’il fabrique.

La porte refermée, Camille Dewald éprouve une étrange familiarité avec le lieu. Cette imprégnation qui le rassure lorsqu’il arrive la veille de chaque exposition; la chambre n’est ni trop vaste, ni trop exiguë. Ni trop lumineuse, ni trop sombre. Ni trop originale, ni trop neutre. Ni sur équipée, ni trop dépouillée. Elle lui plaît, elle peut plaire à tout le monde.